Question qui appelle l’affirmative… ce que je voudrais dire à partir de trois axes de
réflexion :
1 – Un divertissement : les danses de sociétés (rituel, politique & culture)
2 – Un spectacle : la danse dans la société (représentation, art & culture)
3 – Mode (vogue et moyen)
I. Considérons d’abord que la danse conserve, encore au 2nd siècle de notre ère, un
caractère sacré d’essence divine parce qu’en l’espèce :
« tous ceux qui en ont recherché la véritable origine (…) diront, comme le fait observer
Lucien de Samosate dans son
Eloge de la danse 1, qu’elle est contemporaine de l’univers. Elle
est apparue en même temps qu’Eros, dieu des premiers temps. »
C’est dire, en l’occurrence, une forme de consubstantialité de la danse et de l’amour, l’histoire
du corps étant en jeu, et la passion d’aimer en étant l’enjeu.
Cette affaire des sens, de sens et de bienséances, l’art chorégraphique la dépeint sans conteste
sous des formes diverses, multiples et variées, au fil des époques et comme signe des temps.
Ainsi par le ballet, tel le classique
Roméo et Juliette ou bien la moderne
West Side Story ; ou
parallèlement aux planches théâtrales et à l’écran de cinéma, par le bal, celui de la Cour
comme aussi bien le bal Mabille dans le Paris de la Belle Epoque, sur les places publiques
rurales et urbaines, et dans toutes les salles de la danse participative qui autorise, en la
codifiant et en la réglementant avec force, rigueur et même sévérité, la rencontre entre
l’homme et la femme, entre les hommes et les femmes, qui apprennent alors à se mesurer, à se
toiser, à s’appréhender, côte à côte, main dans la main, en vis-à-vis, face à face ou dos à dos,
dans les bras l’un de l’autre, enlacés ou à peine effleurés, comme à chaque fois dans les
plaisirs démodés. Ce rapprochement policé des deux sexes, il est ritualisé dans la danse,
pensé ; c’est un ordre établi, ordonné, et même ordonnancé puisque c’est une mise en scène,
qui en fait une contingence magnifiée. Dès lors, comment ne pas constater que la danse
entretient des affinités électives avec ses contemporains, c’est-à-dire avec son temps, avec son
histoire. Mais quelle en est la philosophie ?
A l’aube des grandes découvertes géoculturelles de la Renaissance, l’idée que la danse
participe de l’harmonie universelle reste pleinement d’actualité. Aussi Thoinot Arbeau
développe-t-il la perspective de Lucien en s’inscrivant dans le droit fil du premier penseur de
la danse, Lucien de Samosate, lequel a écrit un ouvrage complet sur cette activité qu’est la
danse, art bel et bien constitutif de la société que l’Antiquité classique nous a légué pour un
usage manifestement tenu en haute estime, mais que l’Eglise a fustigé durant tout le Moyen-
Age, du moins qu’elle n’autorisait que sous certaines conditions. Ainsi le chanoine de
Langres, maître à danser de son état, Thoinot Arbeau, s’est exprimé sur ce chapitre
de la danse et du politique, en 1589, dans son ouvrage l’
Orchésographie, dialogue de la danse et
manière de danser entre Capriol, l’élève, et Arbeau, le maître 2, expliquant que
« les danses sont pratiquées pour connaître si les amoureux sont sains et dispos de leurs
membres, à la fin desquelles il leur est permis de baiser leurs maîtresses, afin que
respectueusement l’un l’autre puissent se sentir et s’apprécier ».
C’est ce qu’il convient d’examiner. De fait, les danses de cour contribuent bien, selon Arbeau,
« au bon ordonnancement de la vie en société ». Celles-ci sous-tendent, bien sûr, une éthique
en même temps qu’une esthétique. Elles reflètent en cela tous les signes extérieurs de ceux
qui l’exécutent, c’est-à-dire la noblesse, ce qui exige du seigneur qu’il soit à la fois vaillant et
délicat au bras de sa compagne. Il lui faut être autant chevaleresque que courtois, ce qui
implique qu’il veille, avec une certaine galanterie, sur sa partenaire, la valorisant autant par sa
douceur que par son autorité, la mettant ainsi en valeur tout en se mettant simultanément en
scène, donnant tout le relief nécessaire à sa propre personne ; se trouvant de plus dans un
rapport en miroir vis-à-vis de lui-même, glorifiant symboliquement les belles manières, la
bonne éducation qu’édicte la culture aristocratique. Jeu étudié puisque calculé, les danses
curiales sont mesurées et conçues pour être à la fois esthétiques et festives. Elles participent
du jeu prévisible de l’apparat, de l’étiquette, mais elles contribuent également à libérer
l’individu du carcan de ses tabous, opérant ainsi une sorte de catharsis. La danse impulse ; elle
commande aux actions tout comme elle agit, étant elle-même agie par des forces qui lui
échappent. Ce qu’il nous faudra démontrer. Partant donc du constat qu’elle est un art
constitutif d’une société donnée, dans quelle mesure l’est-elle effectivement en regard du
pouvoir en place ? [...]
___________
Notes :
1
Lucien de Samosate,
Eloge de la danse,
Ed. Arléa, Coll. Retour aux Grands Textes, 2007, p. 60.
2 Thoinot Arbeau (1589, Orchésographie, Dialogue de la danse et manière de danser entre Capriol, l’élève, et
Arbeau, le maître).
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