L'empreinte des Fatlam

En écho à la rencontre organisée le 17 septembre 2009 au Forum Fnac de Caen autour de la parution de l'ouvrage de Christine Roquet, Fattoumi Lamoureux, danser l'entre l'autre aux Editions Atlantica-Séguier, 2009, voici l'article donné en prolongement à cet échange entre les deux chorégraphes contemporains, depuis 2004 directeurs en charge du Centre Chorégraphique National de Caen/Basse-Normandie. Comme une suite à leur discussion publique, ou comme des hypothèses de lecture censées éclairer l'esthétique de Héla Fattoumi et Eric Lamoureux au creux de la danse contemporaine de ces vingt dernières années, l'empreinte des Fatlam pose les prémices à l'étude de la cohésion du discours chorégraphique en en dégageant la kinesthésique.



Le concept de “l’ici et l’ailleurs” recouvre ce que Christine Roquet appelle “l’entre l’autre” dans son livre1 sur les chorégraphes Héla Fattoumi et Eric Lamoureux. Afin de baliser les chemins que traversent les Fatlam, un couple de danseurs contemporains très familiers des “artistes transfuges”, focalisons leur écriture chorégraphique telle qu’elle emprunte au sentiment d’être “à deux pour une image”. D’abord, remarquons combien leur définition du lieu repose sur le paradoxe de la solitude vécue comme une sensation de n’être pas seul malgré l’impression d’isolement, d’enfermement, ou d’esseulement2. Laissons venir ensuite ces génies qui nous accompagnent, demeurant en présence des uns des autres. Ainsi, ils construisent leur danse, à la force de cet imaginaire des “mille départs de muscles”3, nous introduisant avec délicatesse dans un méandreux espace temps mental chargé d’organismes dansants et dansés qui flirtent avec le mouvement de l’air. Comment les Fattoumi-Lamoureux dansent-ils l’entre l’autre ? Comment s’entrelacent-ils, accouchant d’une véritable poésie en acte, en déposant au creux de la mémoire rétinienne l’empreinte même des Fatlam ? C’est ce que nous aimerions aborder en ces pages, au regard de la poétique de la danse contemporaine4 dont l’histoire5 montre qu’elle est proche des arts performatifs qui transcendent le geste sportif. A la rentrée 2009, est annoncée leur prochaine création, Just to dance, qui sera présentée les 14 et 15 janvier 2010 à l’Espace des Arts de la Scène Nationale de Chalon-sur-Saöne, puis donnée les 17 et 18 mars 2010 au Théâtre de Caen. La brochure de la compagnie, L’ici et l’ailleurs ccncbn, rappelle en ses points biographiques quelques éléments relatifs aux grandes orientations esthétiques des Fatlam : « En 2004, Héla Fattoumi et Eric Lamoureux prennent la direction du Centre Chorégraphique National de Caen/Basse-Normandie (CCNC/BN) autour d’un ambitieux projet de lieu ouvert aux poétiques du divers : l’ici et l’ailleurs. Vaste et dense, il y est question, au travers de l’art chorégraphique, d’enrichir notre rapport au monde grâce aux expériences sensibles suscitées par la découverte d’artistes “venus d’ailleurs”. »
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Notes :

1 Roquet Christine, Fattoumi Lamoureux, danser l’entre l’autre. Editions Atlantica-Séguier,2009.

2 Voir le duo fondateur des Fatlam intitulé Husaïs (1990) qui met en scène un couple soumis aux aléas et aux vicissitudes que peut infliger le non-dit, torture du silence en exergue dans l’épaisseur de la vie à deux, un homme et une femme constitués en cellule, le Un, par le dialogue des différences qui s’aimantent et s’influencent à la mesure du Même et de l’Autre.

3 Christine Roquet mentionne le geste sportif détourné à l’oeuvre dans le processus d’écriture chorégraphique : « Bien évidemment, 1000 départs de muscles [2007] semble venir immédiatement à l’esprit de qui voudrait illustrer d’un exemple simple la force de cet imaginaire sportif puisque le propos de la pièce lui est directement lié. (…) Le geste sportif, et surtout celui des sports collectifs, sera pour [Eric Lamoureux] le ferment d’une relation ludique avec l’espace et avec l’autre [conçus conjointement comme un] “espace de jeu en perpétuel mouvement, [où] Il faut déjouer les trajectoires anticipées par l’adversaire”, précise-t-il. Sur le stade comme sur scène ou dans l’atelier de danse, [le jeu repose sur] un regard périphérique [au moyen duquel] on se jette, on s’élance dans l’espace, explique Christine Roquet, même si c’est pour y retrouver très vite le sol et s’en arracher de nouveau. » (ibidem, 106).

4 Louppe Laurence, « En esthétique de la danse, la valeur du spectacle « réussi » est souvent secondaire à côté de l’éclat perdu qui traverse comme un météorite un moment de danse, portant la décharge de ce qui a été touché dans les corps du danseur et du spectateur. Nous sommes tous en quête de ces moments stellaires. Et du trait ineffaçable dont ils marquent notre histoire, à la mesure de la fugacité insaisissable de leur passage. Je plaide pour la poétique de ces résonances transsubjectives. »
Poétique de la danse contemporaine
. Collection « La pensée du Mouvement », Editions Contredanse, Bruxelles, 1997, réédité dans Poétique de la danse contemporaine, la suite, éditions Contredanse, Bruxelles, 2007.

5 Ginot Isabelle, La Danse au XXe siècle. Editions Bordas, 1995.



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